lundi 7 février 2011

Exile.

Jack. Il pouvait tellement peu voir le bout de ses phalanges. A la lueur de cette aspérité traçante, il les devinait. Loin. Le faible rayon de lumière atterrissait salement sur ses propres mains qui avaient par le passé honteux si souvent péché. Toutes ces gorges étouffées, dorénavant il s’en rappelait. Cette excitation. Jamais il n’avait évoqué le moindre soubresaut de sa colère destructrice à Mindy. Il l’aurait probablement décapitée d’un seul coup de paluche, tant le souvenir de toutes celles qu’il avait réduites à néant lui serait parvenu. Fort. Le clou rouillé n’en pouvait plus de traverser sa paume. Il payait. Ce résidu cadavérique qu’il avait vénéré, voilà ce qu’il était devenu. Ses coudes désespérés tentaient vainement de se mouvoir en une illusion subie. Sa  cornée emplie de dégénérescence coulait de toutes parts. Il hurlait.

Des ombres bleutées traversaient sa vision infernale. Il se rappelait alors ses années dorées. Ses printemps lointains qui s’éloignaient à chaque clignement d’œil. Pourquoi avait-il donc rejoint cette improbable terre fertile qui fleurait bon la désespérance actée d’une civilisation à la dérive. Mindy l’aimait. Mais cette toute puissance soudaine l’exhortait à fuir ce confort véritable d’une obédience bourgeoise. Dieu qu’il aimait tuer. Des milliers de jours, il avait attendu patiemment le bon moment. Celui où tout semble instantanément merveilleux. Il déglutit.

La tête de Jack se raidit subitement vers l’avant. Les innombrables gouttes de sueur qui perlaient sur sa tête le confortaient dans son assurance moite. Il jeta son regard à droite. Deux autres âmes éventrées criaient. Une jeune femme égrenait les chapitres ennuyeux de sa vie passée sur un ton exécrable. L’homme à côté de lui l’acquiesçait d’un vague hochement de nez. Comme s’il n’avait jamais su. La bave routinière de son partage révolu lui emplissait le visage. S’il n’était déjà pas mort, Jack aurait voulu le tuer. L’écartèlement de ses bras annihilait néanmoins chaque minuscule tentative de mouvement. Gentiment situé au-dessous un soldat argenté lui réfrénait la moindre envie de liberté motrice.

Des ombres errantes parcouraient la pièce. L’une d’entre elles remonta un instant le bois oriental de sa croix malfamée. A son oreille, elle se mit à murmurer tout un dialecte obscur qui lui parut sur le moment inconnu. Puis. Il se rappela ces foutus idéogrammes découverts quelques instants plus tôt sur ce maudit mur. Ses chevilles enflèrent douloureusement. C’est alors que la pression auditive de ces créatures d’un autre temps se fit intenable. Le monde entier l’avait oublié. Enfoui au plus profond de ce sable sumérien, Jack avait disparu depuis maintenant trop longtemps. Ces sirènes détestables avaient mis bas pour lui. Par lui. Il lui fallait revenir. A sa gauche, il crut reconnaitre ce bon vieux Mac Pherson, le regard atrophié, le torse nu, les genoux croisés. Bon sang, que foutait-il là. Il fallait s’en sortir. Et en découdre avec ce Gogo.

lundi 27 septembre 2010

Lui.

C’était une nuit comme Callahan les aimait. Une nuit où il se retrouvait enfin seul et où il pouvait se délecter dans une langueur absolue de tous ses méfaits passés. Il aimait Le Mal. Il ne massacrait pas par nécessité ou par maladie psychotique. Non, il adorait vraiment provoquer des hécatombes parmi ses ennemis. Ou parmi ses amis. Le plaisir était le même. Il avait un objectif depuis longtemps. C’est pour le mener à bien qu’il avait été formé. Tout avait commencé une vingtaine d’années auparavant. Alors qu’il achevait son service chez les Marines, un mystérieux interlocuteur était venu le rencontrer pour lui proposer une offre énigmatique. Une mission de toute une vie pour une cause inconnue. Bien évidemment, il avait accepté par pure curiosité. Il ne savait aucun détail mais il devait donner sa réponse en priorité. Il avait dit oui. L’ennui et sa soif de destruction ne permettaient aucune autre espèce de choix. Peu importe quelles seraient ses obligations, il les accomplirait sans sourciller. On ne donne rarement un rendez-vous à minuit sur des quais peu fréquentés avec de bonnes intentions. Il avait pris néanmoins son arme avec lui. Pas dans le but de se protéger mais plutôt si une subite envie de tuer se ferait sentir. Ah, le Nicaragua. Il s’était régalé. Il en voulait encore. Toujours plus.

L’homme l’attendait sous un réverbère qui n’éclairait que par intermittence. Agé d’une cinquantaine, plutôt grand, il sentait la naphtaline. Avec son nez élancé et ses joues creuses, il n’inspirait aucun sentiment. Cela rassura Callahan. Une neutralité malveillante, voilà ce qui lui plaisait. Il ne le tuerait donc pas. Et il donnerait son accord, quoi qu’il advienne. L’homme commença à parler. Un Anglais, sans aucun doute possible.

- Vous serez payés 30 000 dollars par an, toute votre vie.
- Oui.
- Vous aurez accès à toutes les informations que vous voudrez, tout le temps.
- Oui.
- C’est la seule fois où vous me verrez.
- Oui.
- Vous ne pouvez imaginer dans quoi vous mettez les pieds. Je vous donne le pouvoir ultime. Celui de la destinée. Vous ne serez pas un soldat. Vous ne serez pas un agent infiltré. Vous ne serez pas un mercenaire. Vous deviendrez ce que vous traquerez. Pas une minute vous ne devrez croire que vous maitriserez la situation. Mes collaborateurs vous suivent depuis votre naissance. Tous vos choix étaient en réalité les nôtres. La vie est un plan vous savez. Vous n’avez rien de spécial ou de particulier. Mais notre comité vous a choisi. Il existait une alternative. Elle est incontrôlable. Vos chemins se croiseront. Si un jour vous avez une femme, je la tuerai. Si vous avez des enfants, vous les tuerez. Vous n’êtes qu’un chiot dans un panier.

Et il s’en fut.

L’homme avait filé à Callahan une enveloppe cachetonnée. Il la mit dans son blouson et rentra d’un pas léger à sa chambre d’hôtel. Paisible mais enjoué par cette nouvelle vie qui s’offrait à lui, il se mit tranquillement dans le lit et découvrit le contenu de ce dossier. Quelques photos en noir et blanc, des reproductions de textes anciens, des coordonnées bancaires, des codes d’accès, des passeports pour les cinq continents, une capsule de cyanure et l’adresse d’une boite postale à Londres. Et une petite feuille blanche, avec, en son centre, une inscription minuscule. Il se leva, posa la feuille sur la table de la chambre et chercha dans son sac le microscope qu’il avait emprunté au laboratoire bactériologique de l’armée. Après avoir glissé le papier sous l’objectif, il fit le point et il se rendit compte que c’était son ordre de mission. Enfin. Oui. Sous ses yeux enflammés, Callahan voyait ce qu’il avait à faire. C’était écrit.

Détruire le Gogo.

vendredi 24 septembre 2010

Soldats

- Quel âge a ton fils alors ?
- Il a fêté son premier anniversaire quand on a débarqué à Omaha Beach.

Clark et Marty partageaient ce maudit trou depuis une dizaine de jours. Et ils se caillaient sévère. Leurs bottes étaient trouées, ils n’avaient aucune chaussette de rechange et ils n’étaient nullement équipés en gants, bonnets ou acabits de ce type. Le froid ardennais les avait envahis et ils étaient frigorifiés. Immobiles. Neurasthéniques. Les mains liées par ce gel hivernal, l’esprit prisonnier de ce vent glacial. Ils mangeaient de la bouillie lardonnée et de l’eau chaude une fois par jour. C’est tout. D’ailleurs, c’était la seule activité de la journée : bouger son cul de paras pour aller à la soupe. Les gars parlaient très peu entre eux. Il n’y avait pas grand-chose à dire de toute façon, il fallait attendre et tenir. Tenir. Tenir cette putain de position. Ils ne l’avaient pas appris au pays, cette façon de gérer l’attente. Un ennui morbide. C’était ça le plus dur bordel. Ne rien faire et mourir. Glander et se faire descendre.

- Ils sont où ces enfoirés de chleus merde.
- Plus en Russie en tout cas.
- Quand je pense que j’ai failli louper tout ça si t’avais pas été là, hein Clark ?
- Oui Marty, ce fritz allait t’exploser la caboche. Putain ta femme m’aurait jamais cru quand je lui aurais annoncé ta mort au combat, tombé sur le champ de bataille, mes fesses ouais, les p’tites putes de Paris oui ! qu’elle aurait dit.
- Bien vrai ouais, sourit Marty.

Clark repensa alors à Maria. Qu’elle était belle bon dieu quand il l’avait rencontrée la première fois. Elle arrivait fraichement de son Alabama natal et paraissait follement perdue dans toute cette jungle urbaine. En bon gentleman qu’il était, il avait porté ses valises jusqu’à l’hôtel où elle devait résider pendant sa semaine de vacances. Il lui avait alors proposé de lui faire la visite de la ville, prétextant à juste titre que Chicago était vraiment peu sûr pour une dame de sa qualité. Ils se marièrent durant l’été 38. Son poste de manutentionnaire à l’usine Ford qui venait d’ouvrir lui assurait un revenu conséquent et lui permettait de combler à merveille à tous les désirs de Maria. Oh, elle en avait peu, c’était une femme simple et modeste qui avait connu la misère suprême lors de la Grande Dépression. Elle savait d’où elle venait et ne se prenait pas pour une autre. C’est ce qui plaisait à Clark. Leur foyer était harmonieux et la vie s’écoulait paisiblement. Il était dans le jardin à retourner la terre quand elle entendit la nouvelle de l’attaque des Japonais à Pearl Harbor. Elle pleura des heures durant et il dut consoler ce petit bout de femme, tout en contenant une colère guerrière qui grandissait en lui. Le sang appelle le sang, se vit-il écrire régulièrement dans son journal. C’est pour ça qu’il s’était engagé dans l’Aéroportée. Des nippons ou des nazis, c’était du pareil au même pour lui à l’époque. Quand tu les mitrailles, ils tombent tous de la même manière. Sauf que putain ces cons de Marines devaient pas connaître la neige en ce moment. Il souffla dans ses mains pour inutilement tenter de les réchauffer. Le silence continu de la forêt était interrompu de temps à autre par une rafale de mitraillette. Jamais ils n’avaient connu un hiver aussi violent.

- Heureusement qu’on d’vait être à Berlin pour Noël hein, relança Marty
- Et nous voilà à boucher les trous, voilà ce qu’on est mec, les rustines de l’armée américaine !
- Ils font quoi ces foutus tommies ?
- Ah ben là, on peut plus compter sur personne, et avec cet affreux brouillard, on peut s’brosser avant d’voir un avion, conclut Clark.

Cela faisait maintenant une semaine qu’ils n’avaient pas subi un massif bombardement de mortiers allemands. Le dernier avait fait des ravages. Bobby, Jim et Vito y étaient restés. La compagnie se décimait à vue d’œil et il fallait d’autant être plus vigilant quand venaient les tours de garde. C’était pour eux le prochain.

- Comment s’appelle ton garçon déjà ?
- Mike. En ce moment, c’est son oncle, Frank, mon frangin, qui file un coup de main à Maria pour s’occuper de lui.
- Il fait quoi ton frérot ?
- Je sais pas trop, dit Clark en tirant une dernière bouffée de sa cigarette. Un programme scientifique à la con, sans grand intérêt.
- Ah ces cons de savants, s’ils pouvaient nous faire gagner la guerre, ça se saurait, affirma Marty avec un air satisfait.

Les deux compères taillaient tranquillement la bavette pendant leur ronde. Leurs lourds pas faisaient craquer la neige tout le long de leur promenade. Marty tenait négligemment son M1 Garand tandis que Clark se souvenait toujours de la présence salvatrice de son Smith&Wesson. Encore un tour pour rien. Les boches semblaient avoir plié bagage ou du moins avaient plutôt décrété une trêve des confiseurs pour cette période sainte. Marty s’alluma alors un cigare, celui-là même qu’il avait chouré à un officier de la Wehrmacht lors du D-Day.

- Pom pom pom pom pom, chantonna-t-il en imitant l’air de Wagner
- Hé hé, fit Clark.

Marty prit la balle entre les deux yeux. Son sang écarlate contrastait avec l’immaculée blancheur qui avait recouvert le tapis forestier. Clark resta immobile une éternité. Il pensa à son fils. Il pensa à sa mère. Il pensa à Maria. Le soldat nazi fit dès lors son apparition. Avec son chien d’une race inconnue, il avança vers lui, son Luger immanquablement pointé en sa direction. Ses yeux jaunes et luisants faisaient fondre la neige là où il posait son regard aryen. Alors que Clark cherchait à sortir son flingue, le clebard teuton lui sauta dessus et le fit tomber à la renverse. A petit pas, l’Allemand avança. Dans un anglais impeccable, il demanda :

- Veux-tu mourir.
- Non, jamais, répondit Clark.
- Tout le monde meurt. Tout le temps.

Il renifla.

- Ton odeur détestable me rappelle quelqu’un.

Et il partit comme il était arrivé. Sans un bruit, avec son chien. Clark enleva son casque et se passa la main dans les cheveux. Marty, pleura-t-il. Marty. Il empoigna la croix que lui avait remise Maria avant son départ et hurla:

- Je te tuerai, tu m’entends, je te tuerai, je t’aurai un jour, cria-t-il devant lui. Crève, saloperie, crève saloperie de Gogo !

mercredi 22 septembre 2010

Once

Mindy se dépêcha de rentrer dans le café. La pluie s’était soudainement mise à tomber et elle avait oublié son parapluie à l’appartement. Elle venait de sortir de son coiffeur préféré, à l’angle de la cinquante-septième et de la huitième avenue et ne souhaitait pas que ces averses automnales lui foutent en l’air sa toute nouvelle coupe. Cette subite notion de coquetterie l’amusa un instant.

mardi 21 septembre 2010

Après-midi shopping

Il touchait au but, son employeur ne lui aurait de toute façon pas pardonné de rater cette mission. Tout avait changé brutalement, un coup de fil qui donnait froid dans le dos l'avait sommé de lâcher la trace de Jack et de pister un autre gibier toutes affaires cessantes, en priorité absolue.

lundi 20 septembre 2010

Seule à seul

Sur un banc maculé d'inscriptions obscènes et de chiures de pigeons, Mindy attendait Jack. Elle avait traversé d'un pas rapide et régulier les rues qui séparaient sa boutique du square, sans avoir conscience de la distance parcourue, en pilotage automatique.