lundi 30 août 2010

Indigestion

Encore une fois, Jack ouvrit le satané dossier où il collectait tous les indices recueillis à grand peine comme d'autre collectionnait les timbres. Méthodiquement. Méticuleusement. Avec un soin qui confinait à la folie. Et sans espoir de pouvoir finir de le remplir un jour. Autant dire que le dossier était aussi mince que le pitoyable sandwich de station service qui lui avait servi de déjeuner.

dimanche 29 août 2010

Intermède

De frustration, son désir en devenait insensé. Des jours, des semaines qu'il n'arrivait plus à écrire quelque chose de correct. Sa créativité se tarissait. Et même les habituels artifices éthyliques ne parvenaient plus à l'imbiber. Dans le meilleur des cas, cela restait éphémère, foutrement illusoire. Le temps de décuver. Et chaque douloureuse sortie d'abîme se chargeait de lui rappeler à quel point ses récits étaient devenus creux.
C'était pourtant là, il le savait. Quelque part, n'attendant qu'un signe pour venir noircir ses feuilles immaculées. Pas en lui, comme le croyait naïvement de nombreux auteurs égotiques. Ce concept d'existentialisme appliqué à l'art était vraiment un des plus gros ramassis de foutaises de l'Histoire de l'humanité. Exister pour Être. Exprimer uniquement son Vécu. Dante avait probablement mis les pieds en Enfer aussi souvent que Fante en Italie.
Non. Pour lui, l'Essence pré-existait à toute chose. L'inspiration n'était qu'un encrier géant. L'artiste y trempait sa plume puis donnait vie. La Femme en était la principale allégorie.
Tout se rejoignait dans un maelström d'émotions. Il ne restait plus qu'à se servir. Mais seule une poignée d'élus en avait la capacité. Lui l'avait eu. Il avait été un de ces archéologues – auteurs, peintres, sculpteurs... - à sa recherche. Il l'avait trouvé, en avait fait un artefact, assez subtilement pour se l'approprier. Il s'en était abreuvé pour étancher sa soif d'immortalité. Ses écrits resteraient.
Certains s'étaient cramés à trop souvent s'approcher de ce Graal. Mutilations, suicides, conversions au christianisme : les pétages de plombs n'avaient pas manqué. Peut-être lui même commençait-il à être touché. Ce qu'il prenait pour frustration et désir n'étaient peut-être au final que les prémices de la folie. Oui cela ne pouvait être que ça. Il était en train de le rendre fou. Complètement fou. Ce satané Gogo.

vendredi 27 août 2010

La Mue

Les yeux de Mindy tombèrent sur le dessin d'un monstre. Il portait une jupe constituée d'une multitudes de serpents. Une œuvre précolombienne semblait-il. C'était moche à faire peur, et pourtant le huitième de sang mexicain qui coulait dans ses veines se mit à battre dans ses tempes.

jeudi 26 août 2010

Warum

Le cagnard écrasait les malheureux passants qui s’aventuraient sur le goudron surchauffé. Tout ce qui était animal ou végétal cherchait en vain un malheureux souffle d’air. Ce n’était même plus dans le vide que les regards plongeaient. Le vide n’existait plus. Le néant avait rendu les armes.

mercredi 25 août 2010

Revelation Redux

Cela faisait une éternité que Jack ne s’était pas rendu dans ce vieux grenier poussiéreux. La trappe pour y accéder se trouvait à trois bons mètres du sol et un escabeau à la stabilité inquiétante faisait office de marchepied vers cet étage lugubre. Jack ne savait pas véritablement ce qu’il était venu chercher.

vendredi 20 août 2010

Haiku

Il avait sans doute existé depuis toujours.

Traversé les âges.

Il avait eu plusieurs noms au cours de son existence.

Beurre, Pâté, Steak.

Il avait été utilisé par tous, tout le temps, souvent.

Par des jeunes, des moins jeunes.

Il avait passé sa vie à être envoyé.

A la sortie d’un concert réussi. D’une figure de ski impossible.

Il était, il est et sera toujours.

Le gogo.

jeudi 19 août 2010

Le Devenir (III)

Il n’y avait pas eu un seul regard échangé de l’après-midi. Jack tenait sa tasse de café à pleine main, même si cette dernière était bouillante, bouillante comme sa colère qui montait peu à peu en lui.

mercredi 18 août 2010

Semper Fidelis ?

- J’attends vos explications, Major.

Le ton était d’une distance froide, quasi mécanique.

mardi 17 août 2010

Délivrance éphémère

Quand il se sentait à bout de tout, Jack cherchait l’apaisement par le biais d’un souvenir. Le souvenir d'une sensation peut-être à jamais perdue. Le souvenir d’une nuit. De la dernière nuit où il avait pu fermer l’œil sans s’en sentir coupable. Au plus profond de son âme, ce moment rarissime gardait le goût du triomphe.

Retour (II)

Callahan se planta devant l’usine désaffectée. C’était une ancienne fabrique de câbles automobiles qui était inactive depuis la fin des années soixante-dix. La voie ferrée qui passait juste au-dessus masquait le silence assourdissant qui régnait sur la totalité de cette friche industrielle.

lundi 16 août 2010

La vie de Mindy (I)

Assise sur le rebord de la fenêtre, Mindy s’alluma une cigarette. Elle observait avec un dédain absolu les gens qui couraient dans la rue.

dimanche 15 août 2010

Genèse 1.0

C’était l’automne de 1971, peut être, ou 72… Quoi qu’il en soit il était encore un morveux, un bébé presque comme un autre. Il ne se rappelle plus de tout, beaucoup de tout ça n’était que détails….

Le contrat

S’il y a bien une ville où personne ne tient à passer son été, c'est bien Bâton Rouge. Il y fait chaud. Trop. Tout est humide. Trop. L'atmosphère nauséabonde, voire irrespirable. Beaucoup trop.

ГОГО

Le thermomètre indiquait moins trente-cinq. Jack avait quitté Nijnevartovsk depuis maintenant trois heures et le froid devenait de plus en plus violent. A chacun de ses pas, il lui semblait que chaque minuscule souffle d’air s’engouffrait irrémédiablement sous sa combinaison pourtant conçue pour ce type de conditions climatiques.

Ginger

« Mec, tu me mets la même chose ? » « c’est toi le boss » Jack aimait particulièrement bien cet endroit tout compte fait. Etrangement, il y mettait rarement les pieds.

Mac Pherson

Il faisait nuit. Une nuit sans lune, une de ces nuits sombre comme dans les contes qui se déroulent aux Balkans que l'on raconte aux mioches les soirs de camping histoire de leur foutre la pétoche. De loin en loin, au passage d'un col, il ne sait plus où, Jack pouvait apercevoir les lumières d'une ville sans nom.

L'Affiche

La réalité n'était plus la réalité. Ou plutôt, elle ne l'avait jamais été. Je l'avais tout d'abord constaté sur un détail. Ce genre de moment où la découverte d'un petit bout de peau nécrosé sur le visage vous fait subitement prendre conscience que c'est le début de la fin. Pour moi, tout commença au milieu d'une nuit d'hiver. Ou d'été, cela n'a pas d'importance car vous comprendrez bien, chers lecteurs, que les saisons ne sont plus les saisons. Qu'elles ne l'ont probablement jamais été.

Everything dies baby

Il se réveilla enfin. Les premières lueurs de ce soleil tellement printanier lui firent plisser son œil tandis qu’il remettait délicatement son bandeau. Il prit son fameux bâton, son seul compagnon de route, son unique acolyte. Sa destinée. Jack enfila alors son cache-poussière et fit mijoter une boîte de conserve sur un feu de fortune. Dans les gravas de ce qui restait d’Atlantic City, il se balada par la suite. L’explosion du vaisseau-mère au dessus de la ville s’était produite vers midi et les nombreux passants restaient figés telles des statues de plomb. Il s’accroupit un instant dans les ruines d’une station essence, mirant son reflet tourmenté dans une mare de carburant d’un bleu saisissant. Sur les bords boueux, il commença par écrire instinctivement avec son bâton, comme il le faisait à chaque fois, tous les jours depuis le crash. Ce mot hantait inlassablement son esprit. Peut-être en comprendrait-il bientôt le sens. Oui. Il l’espérait. Après une dernière bouffée de son cigare, il le balança à voix haute : Gogo

Le réveil

Bien sûr, il passa la journée empêtré dans ses draps, à scruter ces murs crépis qui suintaient la détresse. Et bien sûr, cette façon d'occuper son esprit était un moyen comme un autre de lutter contre la souffrance effroyable qui avait pris possession de son corps. Le supplice inquiétant l'avait saisi au moment même où il avait ouvert l'œil, et maintenant, la douleur le contraignait à se tordre dans tout les sens. Comme un ver qu'on épingle. Lui connaissait bien cette sensation des plus désagréables, il s'était même persuadé d'être le seul homme sur terre à la connaître. Et quelque part, il est vrai que cela ne pouvait pas en être autrement car aucun système nerveux n'était en mesure de supporter ça. Aucun, excepté le sien. Ne parvenant pas à tirer de leçons de ses nuits diaboliques, ce genre de lendemain trempé de sueur et de pisse froide se faisait de plus en plus fréquent dans l'existence de l'homme. Mais désormais, il savait ce qu'il avait à faire. Il savait qu'il ne lui restait qu'à tenir bon, qu'à attendre la tombée du jour pour relancer la machine et tout l'enfer qu'elle promet... Son gogo, il le subissait chaque soir, et c'était avec une fierté de fer qu'il en acceptait les revers.

Addiction

Jack referma sa braguette. Dans un mouvement taciturne, il enjamba sa besace et se dirigea vers la cuisine. Son regard fatigué se perdit dans toutes ces étagères qui dominaient la pièce. A tâtons, il trouva enfin l’aspirine et remplit d’une eau tiédasse un verre usité qui sentait ce bon vieux bourbon du Kentucky. Mindy le héla de la chambre. « Jack, pourquoi m’aimes-tu tant ? ». Tu me rends cinglé, grogna-t-il en serrant les dents. « Pourquoi tu fuis, Jack, ne vois-tu pas que tes errances te bousillent la tronche ? ». Il se toucha alors la cicatrice qui parcourait la joue gauche de son visage. « Pourquoi bois-tu autant Jack ? ». « Ce n’est pas moi qui bois, cria-t-il en jetant d’une rage désespérée son verre contre le mur jaunâtre de la cuisine. Ce n’est pas moi qui bois, bordel, clama-t-il encore une fois, comme pour mieux s’en persuader, c’est ce foutu Gogo ! »

Albuquerque

Cela faisait maintenant une bonne heure qu’ils avaient pris la route pour Albuquerque. Le soleil du Nouveau-Mexique pouvait être infernal à cette période de l’année, seuls quelques malheureux lézards s’étaient aventurés sur ce maudit chemin de traverse. Au loin, des squelettes d’animaux jonchaient le sol poussiéreux et aride de ce qui était autrefois probablement un champ. C’est alors qu’ils virent un homme adossé à un funeste mur de pierre. Sous son sombrero grand comme la vie, il agonisait. Ils s’approchèrent prudemment. Dans un espagnol forcément approximatif, Jack et Mindy lui demandèrent qui lui avait fait ça. « Este hombre, este hombre » bafouilla-t-il entre deux râles fleurant bon la mort et la tequila. Le pauvre bougre tenta vainement de montrer quelque chose du doigt. Une ombre lointaine mais inquiétante semblait se mouvoir derrière le cabanon. « Este hombre, este hombre, répétait-il sans cesse, es el hermano, el hermano del diablo. Este hombre, es el Gogo ! »