lundi 20 septembre 2010

Seule à seul

Sur un banc maculé d'inscriptions obscènes et de chiures de pigeons, Mindy attendait Jack. Elle avait traversé d'un pas rapide et régulier les rues qui séparaient sa boutique du square, sans avoir conscience de la distance parcourue, en pilotage automatique.
Mais Jack était en retard, comme toujours, et Mindy passait le temps en feuilletant distraitement un journal abandonné par un promeneur. Son regard s'arrêta sur une publicité navrante de conformisme: une jeune blonde à queue de cheval, un sourire niais vissé sur sa face lisse, donnait une cuillerée de compote à un bébé joufflu. Elle pensa à son propre visage tourmenté par le doute, à sa crinière brune qu'elle n'avait pas eu le temps de coiffer, à l'imposant tatouage sur sa cuisse, et se dit que si être mère c'était ressembler à la femme sur la photo, elle n'était définitivement pas faite pour le rôle.

Au téléphone, Jack avait perçu dans la voix de Mindy une intonation grave, celle des «il faut qu'on parle» annonciateurs des multiples séparations qu'ils avaient connues. Pourtant la rupture était déjà consommée. Il venait de s'envoyer lui un verre de Jack Daniel's pour aider ses jambes à le porter jusqu'au parc et se donner le courage d'affronter le regard de Mindy sans chialer comme un gosse.

Quand ils s'aperçurent de loin, chacun sentit son cœur s'emballer comme celui d'un toxico en manque qui découvre une dernière dose dans la poche d'un vieux blouson. Mindy laissa Jack s'approcher sans se lever, mais le fixa sans ciller.

- Mindy, j'ai pas beaucoup de temps. Je croyais qu'on s'était tout dit.
- Assieds-toi Jack.
- Si tu essaies de me récupérer, j'aime autant te dire que c'est foutu d'avance.
- Non, Jack. Non, c'est pas ça.

La gorge de Mindy se serrait, elle aurait voulu lui dire d'autres choses, elle aurait voulu qu'ils parlent d'eux, enfin. Mais c'était plutôt mal engagé. Jack cachait sa douleur sous un masque agressif et sa fierté de mâle. Plutôt crever que d'avouer qu'il rêvait d'elle tous les soirs.

- Jack, tu te rappelles la nuit avant qu'on parte, notre dernière nuit ?
- Ouais. J'en ai eu d'autres depuis, mais c'était pas mal. Si tu veux qu'on remette ça, je ne suis pas contre, mais ne te fais pas d'illusion : c'est uniquement pour ton beau petit cul. J'en ai soupé de tes exigences et de tes infidélités.
- Une fois Jack. Une seule fois je suis allée voir ailleurs. J'avais besoin qu'on me dise de jolies choses. Qu'on s'occupe de moi. Qu'on me fasse rêver un peu. Mais ça n'est pas le sujet.
- Mais c'est quoi le sujet alors ? Pour quelle putain de raison tu veux remuer toute cette merde encore une fois ?

Il perdait ses nerfs. Malgré toutes les étudiantes bourrées qu'il avait pu lever dans les toilettes des bars, il n'avait pas digéré la rupture.

- Jack, je suis enceinte.

La surprise et la déception se lisaient dans les yeux de Jack. Mais il ravala ses sentiments, et d'un air détaché, lança :

- Ah ouais ? Et de qui ?
- Si je t'ai donné rendez-vous, c'est parce que c'est toi le père.
- Tu te fous de moi. Encore.
- Mais réveille-toi Jack ! Il n'y a pas de doute possible !
- Eh bien permets-moi d'émettre un gros doute quand même. Ça fait des années que je sais que je ne pourrai pas avoir de gosse. J'ai chopé les oreillons à 30 ans, le krack de 29 c'est rien par rapport à la chute du cours de mes bourses. C'est même une des choses qui ont fait capoter mon mariage.

Mindy resta interdite. Elle n'avait pas connu d'autre homme que Jack depuis des mois. A moins qu'elle ne se souvienne plus. A moins qu'il se soit passé quelque chose en Orient qu'elle avait totalement occulté. A moins que ce ne soit encore un tour de ce maudit Gogo.

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