jeudi 23 septembre 2010

Bad Tibira

Nous voulions croire.
Aveuglés que nous étions dans cette quête absolue de la vérité, nous étions prêts à tout accepter, à tout entendre, à tout sacrifier sur l’autel de la connaissance et du savoir. Nous avions pourtant pris conscience que ce pouvoir infini nous rendrait incontrôlables si nous le trouvions. Mais plus rien ne nous effrayait dorénavant. Nous étions de l’autre côté du rivage et nous ne reviendrons plus jamais sur nos pas. Il était trop tard pour sauver nos âmes ou celles de nos êtres aimés. Nous avions vu les pires atrocités, nous avions commis des crimes odieux, nous avions fraternisé avec nos pires ennemis. Chaque minuscule cellule de notre organisme était possédée par ce fabuleux désir de recherche immaculée. Chaque liaison synaptique était régie par cette haine imperceptible du néant. Le Rien n’était pas envisageable. Le Tout était la seule solution. L’unique objet de nos investigations. La clé véritable d’interrogations séculaires qui avaient provoqué au cours de l’histoire la mort de millions de personnes. Elle était là. Là.

Jack errait dans sa tente. Il n’avait plus rien à boire. Entre les moustiques et les scorpions, il cherchait désespérément une liqueur quelconque. Pour passer le temps. La ville la plus proche, Nasiriya, était distante d’une centaine de kilomètres. Trois semaines qu’il était dans ce putain de désert et il avait déjà écoulé tout son stock de bouteilles. Et merde, pesta-t-il. Sur une table de fortune s’était amassé tout un tas de cartes, de croquis, de schémas. Un télégramme que Callahan avait intercepté et transmis était à l’origine de sa venue dans ce Croissant Fertile. Quelque chose se trouvait là. Oui. Là.

Il se décida à enfin sortir de la tente. A perte de vue, le désert. Partout où il portait son regard, tout n’était que sécheresse. Le soleil de midi était insoutenable et la poussière de ce sol rocailleux était asphyxiante. Jack s’épongea le front. Les ouvriers travaillaient d'arrache-pied avec leurs pelles et leurs pioches pour tenter de trouver une ouverture viable à cette monumentale chambre funéraire. Ces fouilles archéologiques avaient débuté une dizaine d’années plus tôt suite à des travaux d’historiens anglais qui voulaient en apprendre un peu plus sur la mystérieuse apparition soudaine de la civilisation sumérienne quatre mille ans avant Jésus-Christ. Les conditions d’accès au site étaient bien évidemment compliquées dans cette région du sud de l’Irak, mais le Major avait donné à Jack les autorisations nécessaires pour s’y rendre. Ce tombeau était majestueux mais encore fallait-il réussir à pénétrer à l’intérieur. Il se rapprocha d’une tranchée sur sa droite et descendit prudemment, les barreaux de l’échelle rudimentaire qu’il empruntait pouvant craquer à tout moment. Après avoir échangé quelques mots sans importance avec le directeur du chantier, il aperçut un tunnel approximatif au bout de la tranchée. Il se faufila habilement dedans, rampant pendant un long moment avant d’atterrir face à une vétuste porte en bois, qui refusa finalement de s’ouvrir. Jack se frotta la barbe pendant qu’il tentait de se souvenir d’une inscription qu’il avait lue auparavant sur une étrange statuette ramenée par le professeur Mayhaimer lors de leur ultime entrevue. Souvent victime de trous de mémoire intempestifs depuis l’incident d’Atlantic City, c’était une souffrance pour lui de mettre de l’ordre dans son cerveau. Une souffrance mentale mais également physique, des spasmes destructeurs parcourant son corps tout entier lorsqu’il essayait de se rappeler la moindre chose. Rien ne lui revenait et la violence de cette agression mémorielle lui fit mettre un genou à terre. Il vomit. Des larmes de sang coulèrent de ses yeux tourmentés. Tant bien que mal, il se remit sur pieds. Oui. Dans un effort insensé pour son esprit délétère, il se rappela cette maudite inscription. Il posa sa main fatiguée sur cette porte vieille de cinq mille ans. Et prononça ces mots fous qu’il n’entendit pas lui-même. La déflagration fut immense et le projeta lourdement en arrière. Sa tête heurta la paroi et il s’évanouit.

A son réveil tout était flou. Hagard, étourdi et affaibli, il se releva quand même. La vue de cette pièce mirobolante qui venait de s’ouvrir à lui l’attira inexorablement. Un cercueil vide trônait au milieu de ce sanctuaire. Les quatre murs étaient entièrement recouverts de peintures. Ces gravures représentaient d’abominables créatures qui effrayaient les paysans d’autrefois. Dirigées et commandées par une force aveuglante, ces êtres immondes étaient dessinés sur plusieurs scénettes qui décrivaient leurs massacres et leurs ravages. Elles étaient immondes et repoussantes. Jack en était même choqué. Mais il continua la lecture, bien qu’il ne comprenait que difficilement ces cunéiformes sumériens. Toutes ces vignettes terrifiantes semblaient partir d’une image imposante, située sur le mur du fond. Une silhouette inquiétante sur un chariot circulaire enflammé dominait les cieux et lançait quatre éclairs qui avaient au bout de leur flèche dorée une plume, une pierre, une pièce d’or et une roue. Jack comprit alors que ces symboles représentaient l’écriture, les mathématiques, l’argent et la technologie. La plupart des historiens s’étaient toujours interrogés sur le rapide développement de cette civilisation. Apparemment, quelque chose d’extérieur en était la cause. Il scruta attentivement une autre scénette, juste au-dessous. Un nuage noir s’était animé et un tremblement céleste se fit alors ressentir. Jack mit la main sur ce cirrocumulus diabolique pour tenter de l’arrêter. Il fut happé dans la seconde. Aspiré par les Ténèbres. Englouti par le Gogo.

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