mercredi 22 septembre 2010

Once

Mindy se dépêcha de rentrer dans le café. La pluie s’était soudainement mise à tomber et elle avait oublié son parapluie à l’appartement. Elle venait de sortir de son coiffeur préféré, à l’angle de la cinquante-septième et de la huitième avenue et ne souhaitait pas que ces averses automnales lui foutent en l’air sa toute nouvelle coupe. Cette subite notion de coquetterie l’amusa un instant.
Juste le temps de trouver une table libre. Elle se posa en faisant maladroitement tomber le dernier disque qu’elle venait de se procurer. La pochette de Daydream Nation retint son attention un long moment. L’endroit était relativement calme aujourd’hui, ce qui l’autorisait à attendre tranquillement qu’il apparaisse. Lui. Mais oui. C’était lui. Elle ne voulait que lui, elle l’espérait, elle le désirait de toute son âme, de tout son corps brulant et endiablé. Mais à coup sûr il ne l’avait jamais remarquée. Il avait l’air si mystérieux et taciturne avec son regard poignant mais tellement lointain. Une fois, il avait croisé ses jolis yeux verts. Elle avait rougi comme une lycéenne. Mais, depuis, plus rien. Pourtant il se rendait souvent dans ce café, qui pouvait de temps à autre être mal fréquenté. D’ailleurs, elle l’avait souvent vu se faire rosser par ces irlandais de flics de l’autre côté de la rue. Il avait naïvement voulu s’interposer lors d’une rixe entre les pochtrons du coin et avait au final dégusté tout seul. Mindy n’aimait pas particulièrement les bad boys de service, mais elle aimait cette énergie folle qui se dégageait de lui. Elle sirota son thé à la menthe, un poil trop chaud d’ailleurs pour ses douces lèvres rosées. Dans son dos, elle pouvait suivre distinctement une conversation banale et anodine entre deux femmes plus âgées qu’elle. La première parlait fort avec un accent Texan, tandis que la seconde devait probablement venir du Minnesota. Les deux mémères échangeaient leurs expériences déçues de la vie en couple et de leurs maris respectifs qui ne leur adressaient pratiquement plus parole, plus passionnés qu’ils étaient par leurs fauteuils et leurs matches de foot. Et les deux dindes de se trémousser quand le serveur, un jeune minet, venait apporter leur commande en souriant. Mais les freluquets de ce type n’intéressaient pas Mindy. Oh que non. Grand dieu pas le moins du monde. Du haut de ses vingt ans, elle savait ce qu’elle voulait. Oui. Déjà ne pas finir comme sa mère. Et ne pas être comme ces pouffiasses du magazine qu’elle feuilletait. C’est lui qu’elle voulait. Mais aujourd’hui, il n’avait toujours pas montré le bout de son nez buriné par le temps passé. Elle se pencha pour chercher ses cigarettes dans son sac. Quand elle releva la tête, il s’était assis en face d’elle.

Mindy ne put s’empêcher de paraitre surprise. Il la regardait avec une telle sérénité qu’elle mit du temps à relever la cicatrice qui lui parcourait la joue gauche. Impossible de détourner les yeux, il la captivait. Elle l’aimait. C’était trop tard. C’était déjà fini. Au plus profond de son être, elle savait qu’elle était complètement à lui et que rien, ni personne ne l’en détacherait. Elle était peut-être une garce, mais pour lui, elle se laisserait tenter à une exception. Elle était subjuguée. Il tendit ses bras et lui prit ses mains, les serrant fort avec ses paluches caillouteuses.

-  Je suis Jack, et je t’aime.

Elle ne dit rien. Son esprit papillonnait comme jamais. Son cœur battait la chamade. Son visage se sublimait. Comment répondre à ça. Comment l’englober quelque part, dans quelque réalité tangible et vraisemblable. Comment l’accepter. La réponse, elle tardait à venir. Jamais elle n’avait été décontenancée comme ça. Elle ne pouvait que sourire. Jack eut alors un léger rictus, le coin de sa bouche heurtant merveilleusement les premières aspérités de sa joue à la barbe rugueuse.

- Tu n’es pas obligée de beaucoup parler, reprit-il, mais tu as le droit de me dire ton prénom.

Elle prononça un Mindy tout en retenue, se cachant son petit nez retroussé dans le confort immédiat de son écharpe bleutée. Jack, pensa-t-elle, il s’appelle donc Jack.

- Mindy, je vais te dire quelque chose d’important et la suite des évènements dépendra uniquement de tes prochaines paroles. Je dois partir, mais je dois revenir. A mon retour, si tu m’attends, on vivra tous les deux une existence que tu n’auras avec aucun autre. Tu dois juste me dire que tu le veux vraiment.

Elle observait Jack avec ses grands yeux de biche et prononça en une beauté mélancolique un tendre et douloureux oui qui devait la piéger pour l’éternité. C’était le seul malheureux son qu’elle était capable d’émettre. Il lui fallut une hardiesse insoupçonnée pour oser poser la question qui suivait. Mais, finalement, ce n’était même pas une interrogation, tant elle était vaine de tout.

-  Où vas-tu.
-  Si tu veux vraiment le savoir, là où je vais, personne ne le sait. Personne ne peut m’accompagner. Un jour, je t’expliquerais. Mais pas tout de suite, non. Tu ne le supporterais pas. Tu ne pourrais pas comprendre. Tu me tuerais sur le champ. Mindy, je dois envoyer le Gogo.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire