mardi 17 août 2010

Retour (II)

Callahan se planta devant l’usine désaffectée. C’était une ancienne fabrique de câbles automobiles qui était inactive depuis la fin des années soixante-dix. La voie ferrée qui passait juste au-dessus masquait le silence assourdissant qui régnait sur la totalité de cette friche industrielle.

Personne ne traînait à proximité de ces entrepôts. Même les junkies les plus perchés préféraient se rendre de l’autre côté du fleuve pour se foutre en l’air. Trop glauque pour les toxicos. Callahan en cracha par terre. Il réajusta son haut de forme et continua son petit tour d’horizon. Ce qu’il aimait par dessus tout, c’était s’emplir les poumons de l’air frigorifié du mois de décembre. Il se régalait de cette sensation d’épuration de ses bronches et il avait le sentiment que tout cet oxygène inhalé nettoyait de fond en comble sa cage thoracique. Sa montre à gousset indiquait bientôt quatre heures et le soleil hivernal débutait son rapide déclin. Il la remit alors dans sa poche et retourna sur ses pas.

- Boss elle dit toujours qu’elle sait rien
- Continue, John, continue

Le haut plafond de l’usine paraissait inaccessible. Les carreaux cassés des fenêtres laissaient joyeusement passer le froid glacial et il semblait faire encore plus chaud à l’extérieur qu’ici. Les manettes des monstrueuses machines qui actionnaient les chaînes de montage à l’époque étaient immenses. Il fallait sans doute se mettre à deux ou trois pour les abaisser, songea un instant Callahan. Le bruit de ses bottes résonnait dans tout le bâtiment. Il fit les cent pas pendant cinq bonnes minutes, plongé dans ses pensées. Un cri strident interminable le tira de ses méditations. Avec ses deux fils électriques en main, John le fixait avec son habituel et horrible regard bovin. La jeune femme pleurait d’une douleur indéfinissable. Les saignements de nez avaient cessé mais elle avait les yeux rougis par les larmes et la souffrance. Elle ne sentait même plus les balafres qu’elle avait sur ses minces bras. Seule la balle logée dans sa cuisse lui faisait oublier les électrocutions. Elle s’était dézingué les cordes vocales à force de crier et de gémir. Elle vomit.

- Boss, j’pense qu’elle sait que dalle
- Mon bon John, ah mon bon John, si jamais un jour j’en ai quelque chose à carrer de ton avis de trouduc, ne t’inquiètes pas, tu seras le premier à savoir. En attendant ce jour béni, laisse-moi bosser, tu veux bien

Callahan se rapprocha de la chaise. « Tu peux t’apercevoir ma petite Mindy, commença-t-il à voix basse, qu’il n’est guère aisé de travailler dans de bonnes conditions quand on est entouré d’un tocard pareil. Et crois-moi, j’ai un travail éreintant. Il ne faut pas croire, comme tout le monde j’ai de la paperasserie, des heures sup’ à gérer, des congés à accorder. Comment Mindy ? Oui, des congés maternité aussi. A ce propos, cet enfant de putain de Jack, si tu ne veux pas me dire où il est, tu peux au moins me dire pourquoi il est pas fichu de te mettre en cloque ? ». Il fit alors pression sur le trou béant de sa cuisse. Le cri de Mindy fut inhumain. John détourna le regard. « Ouch, pardon, reprit Callahan. Alors mon petit sucre d’orge, où en étais-je ? Ah oui, le boulot, encore et toujours. Oh, si je suis un homme occupé, je ne suis pas non plus un forçat. J’apprécie, de temps à autre, de me délecter avec un plaisir non dissimulé d’une bonne bouteille de vin californien, sur ma terrasse qui domine Venice Beach. Mon épouse et moi passons souvent le printemps là-bas. Vous devriez venir une fois, avec Jack, à l’occasion. Au fait, pardon si John t’as déjà posé la question, mais par le plus grand des hasards, tu ne sauras pas où il est parti, hum ? J’ai horreur de radoter et encore plus d’insister. Alors, tu as peut-être une idée ? » Mindy ravala ses sanglots. « Bien sûr, bien sûr, je comprends, tu es bien évidemment dans l’ignorance la plus totale. Je l’entends parfaitement ». La claque résonna d’un bruit sec. Puis la deuxième. Et enfin la troisième. A la quatrième, elle s’évanouit.

- John, va la réveiller… John ?
- Callahan.

Jack se tenait dans l’encablure de cette putain de porte. Sa voix était à peine audible. Il avait les yeux en sang. Fixant Callahan, il serrait les poings. Les nerfs tendus à l’extrême gonflaient ses biceps où l’on pouvait distinguer des inscriptions en araméen. Etrangement, il était devenu blond. Le corps de John jonchait à ses pieds nus. Il ne clignait pas des yeux.

- Merde Jack, on devait s’en tenir au plan, pourquoi as-tu disparu aussi longtemps ? Et regarde ce que tu as fait à ce tâcheron de John. Parle-moi Jack bordel !
- Callahan.

On entendit l’Express de Cincinnati débouler au loin à pleine berzingue. Les deux hommes se tenaient là. Plus un mot ne sortait. Mindy reprit connaissance. « J..Jack ? » marmonna-t-elle.

- Tu es métamorphosé Jack ! Mais où-étais tu ?
- Où, ce n’est pas la question Callahan, répondit-il en serrant les dents. Tu le sais très bien
- Va te faire mettre, tu as tout foutu en l’air ! Pourquoi es-tu revenu alors ?
- Tu te trompes encore
- Quelle est la bonne question alors Jack ? Hein ?
- La question est de savoir ce que je faisais

Dehors, un éclair illumina la nuit sans étoiles.

- Mais que faisais-tu donc ? Qu’as-tu trafiqué durant tout ce temps ? Qu’est-ce que tu as manigancé hein ? Qu’as-tu fait Jack, au nom de la Sainte Trinité, qu’est-ce tu as fait là-bas ?
- Là- bas, Callahan ? Mais bon sang de bonsoir, là-bas, sale traître, mais j’envoyais le Gogo!

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