Le cagnard écrasait les malheureux passants qui s’aventuraient sur le goudron surchauffé. Tout ce qui était animal ou végétal cherchait en vain un malheureux souffle d’air. Ce n’était même plus dans le vide que les regards plongeaient. Le vide n’existait plus. Le néant avait rendu les armes.
Même pour des vacuités atmosphériques il faisait trop chaud. Pas une brise d’air. Aucun vent libérateur n’osait venir perturber cette oppression calorifère. On étouffait. On sombrait. On suait. On maudissait. On mourrait. Plus que quiconque, Jack le savait. Lui et sa bouteille de mauvais rosé. Tout n’était que putréfaction. Un charnier mental. Ses poumons étaient emplis de toute cette pollution dantesque qu’il aspirait à gorges déployées. Il était dévasté. Il devait penser. Mais à quoi ? C’est lorsqu’on est au cœur du désespoir qu’on ne sait même plus ce qui nous atteint le plus. Tiraillé entre deux mensonges permanents, il divaguait. Se mettant une énième rasade de cet immonde breuvage, Jack cria. Mindy. Encore elle. Toujours elle. Fabuleuse créature perfide qui lui ôtait toute envie d’en finir. Il slalomait entre les corps décharnés d’une foule qui allait tellement à contre-sens. Chercher, sans cesse. Ses investigations étaient d’une inutilité frappante. Désarticulés, ses membres brassaient de l’air. Peine perdue. Le gonflement des murs d’immeuble lui carbonisait la tronche. Il était perdant sur les deux tableaux. L’inanité de sa quête assécha encore plus sa bouche. Plus que jamais, il errait.
C’est alors que son attention se projeta sur une porte mortifère. A l’angle de ce boulevard inepte, il remarqua l’entrée d’un club. Il se hasarda à proximité, trainant ses guêtres et balançant de rapides coups d’œil derrière et devant lui. Non, il n’était pas suivi. Oui, il n’avait plus rien à boire. Quelle sorte d’endroit pouvait bien accueillir du monde en plein milieu de l’après-midi ? Il n’avait pas terminé de se poser la question qu’il était déjà à l’intérieur. Cela ressemblait de prime abord à un bar libertin. Très vite, il se rendit néanmoins compte que ce lieu était beaucoup plus que cela. Des svastikas recouvraient le plafond. Des hommes au regard libidineux charmaient avec une fougue dérisoire des femmes portant des vêtements de la Gestapo. Accoudé au bar, ce qui devait être un résidu de général SS parlait fort et en allemand. Le Troisième Reich à l’heure du thé. De temps à autre, des grands saluts hitlériens brisaient l’ambiance délétère de cette renaissance nazie. En un éclair de honte, Jack se commanda un schnaps. Il se décida à avancer et à parcourir cette Germania en modèle réduit. Tout n’était que galoche et main dans la culotte. Tout était étrange et détestable. Mais cette attraction fabuleuse le poussait à voir plus loin. Cette luxure absolue. Cette orgie d’un autre siècle. Il était le témoin d’une bacchanale unique. Une rangée de pervers teutoniques assistait l’air ravi à une séance de torture à la gégène d’une esclave qui hurlait qu’elle ne savait rien. Ce mélange de pornographie et de barbarie fit dérailler Jack. Sa quête était une chimère. De la poudre aux yeux. L’idiome syncrétique de toute une vie. Etait-ce ça le bonheur ? Des adorateurs du Führer, saouls comme des oies, qui trinquent à moitié nus entourés de femmes merveilleusement satisfaites de leur condition ? La dernière gorgée de ce schnaps tiède lui monta directement à la tête. Cherchant péniblement une issue à ce spectacle de désolation jouissive, il ouvrit une porte à peine fermée. Sur un lit à baldaquins surmontés par des aigles impériaux, une scène folle se déroulait devant lui. Un Feldmarschall sûr de son fait fessait avec une agilité certaine une monumentale Fraulein. Il riait tellement. Il s’esclaffait. Son goitre germanique rebondissait joyeusement. Quant à son monocle, il manquait de tomber à chaque mouvement. Ses gants en cuir claquaient à un rythme d’obusier le postérieur gigantesque de la dinde bavaroise. Qui n’en pouvait plus de glousser. Jack avait chaviré dans un autre univers. Lui aussi eut subitement envie de rire. Le grotesque se mêlait à la fascination. Deux mille ans de déviance sexuelle et idéologique étaient réunis dans une seule et même pièce. Il demanda dans un allemand hésitant : « Warum ? Was ist das ? » Le maréchal nazi rit de plus belle. « Warum ? Vraiment Jack ? Tu n’as que ça à dire ? » Il répéta : « Was ist das ? » Le Germain se bedonna : « Tu sais ce que c’est, Jack. Ja voll. Das Ist ? Das Ist Gogo ! »
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