lundi 30 août 2010

Indigestion

Encore une fois, Jack ouvrit le satané dossier où il collectait tous les indices recueillis à grand peine comme d'autre collectionnait les timbres. Méthodiquement. Méticuleusement. Avec un soin qui confinait à la folie. Et sans espoir de pouvoir finir de le remplir un jour. Autant dire que le dossier était aussi mince que le pitoyable sandwich de station service qui lui avait servi de déjeuner.

En réalité, sans la contribution de Ginger qui l'avait conduit droit en Sibérie, il serait vide comme le verre de whisky qui trônait sur la table devant lui. Avec un soupir, Jack remplit celui-ci de nouveau, puis grommela :

- Et pourtant, il doit y avoir un lien entre tout ça, il faut qu'il y ait une logique.

Sa santé mentale se trouvait suspendue à ce fil ténu, l'espoir qu'il y ait une raison, un sens, une direction à suivre. Il rejeta sa tête en arrière, comme pour adresser une prière muette au ventilateur de plafond qui brassait l'air lourd et moite de la pièce poussiéreuse dans laquelle il avait trouvé refuge en espérant pouvoir trouver un début de réponse à ses trop nombreuses questions. Mais rien, rien qui s'enchaîne, autant essayer de réaliser un puzzle avec des pièces issues de plusieurs boîtes. Chaque semblant de piste menant à une impasse, seul le plus complet hasard semblant conduire au but, comme si plutôt que chasseur Jack n'était en fait que la proie de sa cible, nargué par une ombre insaisissable bien que toujours à portée de vue.

La sonnerie de la porte d'entrée tira Jack de son abattement. Sans même tenter de regarder par le judas rendu inutilisable par le coup de pinceau maladroit dû à l'incompétence du précédent locataire, il ouvrit en grand sur un grand dégingandé dans un uniforme étriqué. Quelle surprise, encore un apprenti comédien du Midwest aux oreilles décollées venu tenter sa chance comme comédien à L.A. qui échouait comme livreur de pizza.

- Bonsoir m'sieur, une grande poivrons-pepperoni, c'est bien pour vous ?
- Si c'est pour l'appartement 324... répondit Jack en fixant les chiffres à la dorure fatiguée collés sur sa porte.
- Euh oui, répondit le jeune crétin d'un air gêné. 11,95 $ s'il vous plaît.

Jack lui tendit un billet de 10, deux de 1, pris le carton huileux des mains du livreur, et lui ferma la porte au nez sans attendre un merci pour un pourboire aussi misérable.

Retournant s'installer à table, il mit de coté son dossier à la couverture élimée, et ouvrit l'emballage sur lequel une grotesque caricature de cuistot italien avec moustache fine et tablier vert-blanc-rouge lui souhaitait un bon appétit.
Et son sang se glaça immédiatement dans ses veines. Au milieu du désordre apparent de la garniture de sa pizza, les lamelles de poivrons et rondelles de pepperonis traçaient un très lisible « GOGO ».

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