Le thermomètre indiquait moins trente-cinq. Jack avait quitté Nijnevartovsk depuis maintenant trois heures et le froid devenait de plus en plus violent. A chacun de ses pas, il lui semblait que chaque minuscule souffle d’air s’engouffrait irrémédiablement sous sa combinaison pourtant conçue pour ce type de conditions climatiques.
L’Apocalypse avait revêtu son blanc manteau et son courroux n’en était que plus palpable. Et toujours rien à l’horizon. Un néant immaculé à perte de vue. Aucune végétation, aucun animal, aucune trace de vie. Sagement, la faune et la flore s’étaient retirées depuis des millénaires de ce désert hypnotique. Une légende sibérienne dit que le dernier homme à s’être aventuré dans cette partie du monde aurait implosé de froid et que toutes les molécules de son corps auraient pris vie dans la neige. De temps à autre, des vagues de flocons seraient la manifestation de son esprit dérangé. Le Purgatoire. Voilà où se trouvait Jack à cette heure-ci. La folie le guettait. Certes, ce vieil homme à la barbe incertaine l’avait mis en garde avant son départ. « внимание к ГОГО ». Mais il n’avait pas pigé. Forcément. Il tenta de penser à quelque chose de chaud. A un moment rassurant. Il voulait se rappeler de ce séjour dans le chalet du père de Mindy qu’ils avaient passé tous les deux, peu de temps après leur mariage. C’était dans les Monts Ozarks, en plein cœur de l’Oklahoma. L’hiver fut particulièrement rude cette année là et ils restèrent toutes les vacances emmitouflés dans cette bâtisse, aux murs épais qui paraissaient indestructibles. Une monumentale cheminée trônait au milieu d’un salon chaleureux. Les flammes crépitaient continuellement et le son de ces bûches qui se consumaient les confortait tous les deux dans le bonheur perpétuel d’un mariage parfait. Jack se souvenait de ces flammes qui rougissaient ses joues, aidées en cela par les nombreux godets de Cognac qu’il se mettait dans le cornet. Jamais il ne retrouva après le confort réparateur des lourds sommeils qu’il connut dans ces montagnes. Il s’abandonna à toutes sortes de pensées délirantes. Il rêva de liqueurs, de draps, de couettes, de femmes. Affalé dans la neige, il ne s’était même pas rendu compte qu’il s’était endormi depuis une bonne heure maintenant. C’est alors qu’une vague à la puissance tellurique le réveilla en le propulsant de trois bons mètres en arrière. La légende disait donc vrai ! Péniblement, il se remit sur ses jambes et avança tant bien que mal, guidé par un tourbillon de flocons devant lui qui semblait lui ouvrir le passage. Il se souvint alors pourquoi il avait entrepris ce long périple. Un Tupolev de type Tu-98 s’était crashé dans les environs en 1958. Un ancien officier de l’Armée Rouge lui avait précisé lors d’une réception à l’ambassade russe de Washington que cet appareil pourrait contenir des informations vitales concernant cette satanée enquête qui était toujours au point mort. Au loin, il aperçu soudainement des débris de ferraille qui jonchaient le sol. Il ne se demanda même pas pourquoi ils n’étaient pas recouverts de neige, alors que tout autour un bon mètre de poudreuse recouvrait la terre. Jack enleva son casque et se pencha pour ouvrir un coffre d’acier, qui devait probablement se trouver dans la soute du Tupolev. L’intérieur était vide mais une plaque de fer portait cette inscription en cyrillique : ГОГО . Son cerveau, glacé par ces bourrasques folles qui portaient en elles tout le froid de Sibérie, mit du temps à faire le lien. Bon sang ! Cette plaque de fer, elle indiquait le contenu de ce coffre. Bordel, il y a une cinquantaine d’années, ce foutu engin transportait le Gogo !
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