La vie de Mindy (I)

Assise sur le rebord de la fenêtre, Mindy s’alluma une cigarette. Elle observait avec un dédain absolu les gens qui couraient dans la rue.

La fraîche pluie d’automne s’était mise à tomber et les passants se dépêchaient de regagner leurs pénates car les gouttes devenaient de plus en plus grosses et de plus en plus nombreuses. Un enfant pleurait. Il avait fait tomber sa gaufre sur les pavés désormais humides du boulevard. Sur sa droite, une dame âgée luttait corps et âme dans le but d’ouvrir son parapluie. Mindy soupira en repliant ses genoux. Jack n’était parti que ce matin mais il lui manquait déjà. Il était revenu transformé de la Sibérie. Des excuses, c’était bien la première fois qu’il en faisait, cet enfoiré. Du bout des lèvres, il avait enfin avoué que le travail et la boisson lui bouffaient la vie. Elle avait donc décidé de le reprendre. Deux mois déjà. Rien n’avait véritablement changé, ça, elle s’en était bien rendu compte. Elle l’aimait. Mais de temps à autre elle ne pouvait plus le supporter. Ses démons, ses tourments, ses tentations. Et là, il lui manquait. Purée. Elle ouvrit le frigo et se servit un verre de Chardonnay. La bouteille était étonnamment encore à moitié pleine. Jack l’avait ramenée hier en rentrant du boulot, il avait quelque chose d’important à annoncer. Dieu qu’elle était angoissée quand il arrivait avec son air grave et sa moue mystérieuse. Elle soupira de nouveau. Sur la table de la cuisine, le journal était déplié. En troisième page, Jack avait surligné une dizaine de fois le même mot. Apparemment, c’était l’enquête du siècle. Tout le monde était sur les dents : FBI, CIA, NSA, tous les services gouvernementaux mettaient les grands moyens pour tenter d’obtenir le début d’une piste solide. En finissant son verre, elle eut un rictus nerveux quand elle acheva l’article en question : « … mais pour le moment, personne à Washington n’est en mesure de dire si un jour on le retrouvera et où il a été envoyé. Selon certaines sources, une mission secrète serait actuellement en projet et elle serait composée de spécialistes au parcours atypiques… ». Sacré Jack. Bien sûr, il avait fait la totale avant de partir : je ne peux rien te dire, je ne sais pas quand je rentrerais, ne t’inquiètes pas, ça m’aide pas. Qu’il aille donc le chercher son maudit machin. Mindy se ralluma une autre cigarette. Elle s’ennuyait. Parfois, elle se demandait comment devait être la journée de ses amies, toutes mariées, toutes engrossées, toutes connes. Ces grosses vaches, pleines de préjugés et banalités. Elle leur pissait à la raie. Au moins elle rentrait encore dans son 36 et pouvait parler d’autre chose que de gamins à moitié trisomique qui se faisaient dessus. Et elle pouvait croire Jack quand il lui disait qu’elle était canon. Cette pensée lui arracha un sourire. Son premier de la journée. Elle regarda sa longue chevelure brune tomber sur ses hanches. La pluie avait cessé. Doucement, elle se leva de la chaise et alla donner à manger à Pequeno, le chat. Ronronner, il ne faisait que ça. Il éructait de plaisir à chaque damnée croquette qui tombait sous ses molaires affutées. Petit miron chuchota-t-elle en le caressant. Dans le salon, la télé était restée allumée. Un vieux western avec John Wayne. Pour la énième fois, elle soupira et s’entortilla sous la couette. L’odeur du parfum de Jack qu’elle humait lui fit arracher quelques larmes. Ah petit enfoiré se dit-elle. Il a fallu que tu partes. De nouveau. Encore une fois il a fallu que tu reprennes ta quête, celle-là même qui a failli te perdre. Nous perdre. N’es-tu pas lassé de cette vaine recherche infinie ? N’es-tu pas épuisé de toutes ces impasses ? Pourquoi te lances-tu sans cesse dans des périlleux chemins que même les plus téméraires refuseraient d’emprunter ? Pourquoi cours-tu vers lui ? Pourquoi as-tu le regard toujours tourné vers cet avenir incertain ? Quel est ton véritable but ? Quelle est ton existence réelle ? N’en-as-tu pas marre de combattre des moulins à vent ? N’en-as-tu pas marre de donner des coups d’épée dans l’eau ? Jack, n’en-as-tu pas marre de passer ton temps à chercher cet improbable Gogo ?