Quand il se sentait à bout de tout, Jack cherchait l’apaisement par le biais d’un souvenir. Le souvenir d'une sensation peut-être à jamais perdue. Le souvenir d’une nuit. De la dernière nuit où il avait pu fermer l’œil sans s’en sentir coupable. Au plus profond de son âme, ce moment rarissime gardait le goût du triomphe.
C’était un soir d’orage. Le premier et le dernier d’un été caniculaire. Jack était coincé depuis des heures dans la chambre d’un motel, à suer sur ses notes, interminablement. Sa cervelle était parvenue à saturation, et quand en fin de journée une explosion rauque déchira le ciel, Jack crut instantanément que toute sa tête éclatait. Il la saisit entre ses mains dans un geste de panique pure – Tout est encore en place! Ouf ! Rassuré.
« Mais alors Quoi ? Le quatrième Big Bang ? Un énième Déluge ? La millième Guerre Mondiale ?! » - Un œil par la fenêtre : « Pourquoi je ferme les volets, moi ? » - Enfin, Jack reconnut le son des gouttes qui s’abattaient sans prévenir - « Une attaque de vers extra-terrestres dévoreurs d’âmes humaines !? » - Non, Jack…
Il finit par ouvrir la porte. En lui la mélancolie écrasa la paranoïa. Submergé d’un seul coup, par le grand spectacle des opérations climatiques. « Sortir. Marcher. Me mélanger à ça ! Profiter de ce dont tout le monde, ici bas, a le mauvais réflexe de se mettre à l’abri ! » - Le cœur battant, la gorge nouée d’une émotion pure, Jack s’échappa du motel sans prendre le temps d’enfiler un tricot…
Et ce soir là, ce fût comme si l’on essorait la terre, et qu’une eau des bas fonds remontait vers le ciel. Aspiré par un horizon où se conjuguaient le sombre sol bleu et la pourpre atmosphère, Jack foulait la route. Seul au monde qu'il était, mais sur une toute autre planète.
Le vent soulevait le sable et le souffle de la tempête épousait ses tympans. Toutes les gouttes le visaient, lui sautant au visage pour former sur sa peau un masque dégoulinant. Les trombes d’eau le rinçaient, puis le souillaient, puis le rinçaient à nouveau... Bien sûr, qu’au milieu du tonnerre, il fantasmait le fait d’être frappé par la foudre. Bien sûr, qu’il l’espérait un peu.
Mais qu’un peu.
Car ce soir, il se rendait bien compte qu’il était exténué. Exténué de vivre dans ce système de pensée impossible qui était devenu le sien. Un système composé en vrac de théories démentes, de concepts insaisissables, de vérités ensevelies, de tourments infinis et de cauchemars grands ouverts.
« Foutaises ! Je me suicide à petit feu voilà tout !!! Je me bats à en baver pour quelque chose qui n’existe peut-être pas ! Je mène une guerre sans merci à rien d’autre que le vide !!!! »… Il est vrai que pour tout homme sensé, il faudrait une foutu raison pour… sacrifier sa vie de la sorte ? Jack n’était pas le Christ. La couronne d’épine, c’est lui-même qui se l’était enfilé, un peu n’importe comment, à l’intérieur de la tête. Jack ne portait pas de croix. Jack était la croix.
Petit à petit la pluie l’aida à faire le vide. Probablement que son organisme était déjà en train de contracter une de ces pneumonies qui vous saccage les bronches. Jack s’en contrefoutait. « Vivement cette maladie là ! Au moins, ELLE, sera réelle ! »
Mais au-delà de sa révolte constante, dans son for intérieur, Jack, comme tous les êtres humains, aspirait à la paix, au bonheur, ou du moins, à un brin de bien-être… Alors ce soir, pas une goutte de gnôle dans les veines, pas une clope au bec, et surtout plus aucune pensée obscure… « Juste Jack, droit devant, plus vivant que le tonnerre. Juste Jack, silhouette solitaire dessinée ça et là, au rythme des éclairs. Juste Jack, emprunt de l’odeur humide de ce temps qui remue la nature. Juste Jack, bras ouverts, cœur perdu, au milieu des herbes folles … »
Il se promena longtemps, s’embourbant dans ce qui, il y a quelques heures encore, n’était que champs secs et poussières. Parvenu au grand nulle part, son corps s’arrêta net pour s’étendre sur le sol. Fusionnant avec la boue. S’emmêlant dans des plantes…
« Juste Jack, acceptant de n’être qu’une particule parmi tant d’autres, dans un vaste univers… »
Et il s’endormit là. Sans songer au Gogo.
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