- Regardez-moi ce bon vieux Mac Pherson !
La voix de Jack résonna dans tout le bar, encore vide à cette heure de la journée. Deux vieux poivrots grognaient à une table chancelante. Au fond, une tripotée d’étudiantes en goguette ricanaient toutes les deux minutes. Elles s’arrêtèrent un instant pour reluquer Jack de haut en bas, avant de reprendre leur tintamarre hystérique. Vers les toilettes, un homme seul gribouillait des dessins obscurs sur un carnet jauni par l’usure de ses souffrances. Il toussotait, il pleurait. Il mourrait. Personne ne s’en souciait. Surtout pas Jack qui monta le son du Springsteen qui passait alors dans le jukebox.
- Ah mon bon vieux Mac Pherson.
Il lui tapa sur l’épaule, puis lui mit une bonne claque dans le dos, comme pour mieux se rassurer de sa présence, tellement son vieil acolyte semblait désespérément absent. Il fit un hochement de tête au barman, avec une moue qui voulait dire « comme d’habitude, sans glace ». Après s’être assis sur le tabouret à côté, il entama la conversation, bien décidé à en découdre.
- Alors Mackie, qu’est-ce qu’il se passe un peu ?
- Salut Jack.
- T’es là depuis longtemps ?
- Je sais plus.
- Ah Mackie, sacré Mackie !
Il lui retapa sur l’épaule.
- C’est ça que j’aime Mackie. Ce foutu Bourbon. Ce vieux tabouret. Ta bonne gueule de pioche et ta bonne vieille barbe. Ah Mackie.
- Va te faire foutre Jack.
- Et tu sais ce que j’aime encore plus ? Ces petites minettes au fond qui sont déjà ivres alors qu’il n’est même pas six heures.
- Bah.
- Oui, je les aime déjà Mackie, regarde-les, toutes belles, toutes triomphantes, les joues rosies par tout cet alcool ingurgité. N’y a-t-il pas plus beau spectacle, je te le demande ?
- Je sais pas Jack. Je sais plus. Peut-être oui.
- Elles sont l’avenir de ce monde, le devenir de la société, le futur de nos enfants. On se doit de les protéger Mac, tu le sais. On est les gardiens du temple, voilà.
- On est des fantômes Jack, des putains de fantômes.
- Ah Mackie, je me sens tellement heureux.
Il commanda de nouveau.
- Quel délicieux breuvage, quelle délicieuse vie ! Buvons-la Mackie, avant qu’elle nous dévore ! Tu vois, j’ai peut-être souvent perdu, j’ai sans doute gagné très peu, mais je sens chaque petite particule de cet espace en moi, elles me transcendent, me chavirent, me composent, me complètent. Et par delà ce foutu horizon, je perçois ce qui m’attend, je pressens ce qui va m’arriver. Rien ne m’arrêtera plus désormais. Personne. Jamais plus.
- Et le vieux débris en train de cracher ses poumons là-bas, répondit Mac Pherson, tu le vois ?
- Rien ne me barrera la route, je te le dis.
- Tu as des nouvelles de Mindy ?
- Laisse cette trainée là où elle est. Elle n’a jamais rien compris de toute façon. Elle était un frein, un poids mort. Hume plutôt avec moi ce nouvel air, ce nouveau royaume des cieux qui s’offre à nous !
- Et cette enquête ? Et cette chose ?
- Justement Mackie, Justement !
Le serveur laissa la bouteille sur le comptoir quand Jack lui eut filé plusieurs billets.
- J’ai tout saisi, tout assimilé. La mauvaise route, voilà où j’étais. Je prenais à droite au lieu d’aller dans le fossé. Mais c’est là qu’il fallait aller, qu’il fallait se rendre. Comment l’ai-je subitement perçu ? Grâce au Major. Tu te rends compte ? Cet espèce de sombre étron desséché sûr de lui et tape-à-l’œil, ce mauvais Marines de mes deux qui croit toujours avoir raison du haut de son mètre quatre-vingt-dix de connerie puante, ce désastre poliomyélitique de la nature, et ben il m’a aidé dans ma quête insensée et destructrice. On aura tout vu mon bon vieux Mackie.
- Mais oui Jack, bien sûr. Et tu penses pas que ce trou de balle de Major s’est pas foutu de toi par hasard ? Tu te méfies de tout le monde, tu te méfies de Mindy, tu te méfies de toutes ces putains décérébrées qui se croient malignes à reproduire des schémas déjà obsolètes, et lui tu le crois ? Tu me dégoûtes Jack, tu me fous la gerbe, tu me donnes envie de me foutre en l’air.
- Mackie, calme-toi, ce Major m’a sauvé la vie, tu ne sais pas ce qui s’est passé en Afghanistan, tu n’en as aucune idée.
- C’est ma foi vrai.
- Allez, te fais pas de bile, finis ton verre qu’on en boive un autre de nouveau. Ce soir, on est les princes de la ville, les seigneurs de la cité, les suzerains tyranniques de cette saloperie de quartier.
- Jack, tu ne t’en sortiras jamais, tu ne pourras pas y échapper.
Le vieil homme au carnet se grattait la tête avec frénésie. Des cheveux gris tombaient de son crâne poussiéreux. Des larmes verdâtres tombaient de ses yeux blancs. Toute son existence n’avait été qu’une longue suite de litanies enchevêtrées dont il ne pouvait se dépêtrer. Non. De l’autre côté, les jeunes filles avaient définitivement franchi le Rubicon de la soulerie et regardaient Jack avec insistance.
- Bon, Mackie, je vais te laisser, je vais aller m'amuser et conter fleurette aux petites mignonettes du fond; ensuite, j'en choperais une dans les gogues, je l'attraperais par les cheveux et je l’appellerais Mindy, ça fera mon home run de la semaine.
- Comme tu veux Jack, comme tu veux, soupira Mac Pherson en finissant son ultime verre.
- Tiens, où est passé le vieux crouton au carnet ?
- Il a disparu à tout jamais, intervint le barman.
- Qui était-il ?, demanda Jack.
- Je ne connaissais pas son nom, répondit-il. Mais je sais qui l’a amené ici. Un inquiétant personnage qui a juste prononcé ces mots : Adventus, Spiritus, Nex Necis.
Jack se tut.
- Je t’avais prévenu, dit alors Mac Pherson. Tu croiseras toujours le fer avec cet illustre Gogo !
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