Après s'être aspergée deux fois le visage d'eau glacée, Mindy tomba face à son reflet dans le miroir. Elle frissonna, faillit se détourner, puis décida d'affronter ce regard emprunt d'anxiété. Les demi-lunes violettes et gonflées qui semblaient soutenir ses yeux si vifs d'habitude témoignaient d'un trop court sommeil et des nombreux verres qui l'avaient précédé. Elle s'était octroyée une bonne cuite, peut-être la dernière avant longtemps, mais cela ne l'avait pas aidée à fermer l'œil. Tout n'était pas soluble dans l'alcool, hélas. Malgré la passable altération de ses facultés visuelles, elle distingua un détail qui accéléra le rythme des coups de marteau qui résonnaient dans son crâne.
- “Merde” dit-elle sobrement.
Une ride. Ça n'était qu'un très fin sillon, visible seulement lorsqu'elle fronçait les sourcils, mais c'était là le problème. C'était l'expression de toute l'angoisse qui l'accablait depuis le début de la quête de Jack.
Mindy était à la croisée des chemins. A mesure que la trentaine se rapprochait, elle prenait conscience de l'instabilité et de la vanité de sa vie. Elle avait tout donné à un homme qui lui tournait désormais le dos. Jack l'avait jetée comme un vulgaire coup d'un soir, sans donner de raison valable, sans prendre de précautions rhétoriques pour atténuer l'effet de sa décision. Et depuis, elle n'avait plus goût à rien. Parfois, elle regrettait de ne pas partager la crédulité des clients de la boutique ésotérique où elle gâchait sa vie pour quelques dollars par mois. Aucun talisman ne la protégerait jamais du malheur, aucun gourou ne lui montrerait la voie à suivre, aucune recette de magie blanche ne lui permettrait de retrouver l'être aimé.
Leur dernière nuit d'amour, avant leur départ pour l'Orient, était imprimée dans sa mémoire comme son dernier moment de félicité. Elle se rappelait le corps à corps et les caresses conjugués qui avaient fait déferler en elle deux vagues successives de plaisir intense et de total abandon. Elle sentait encore tomber sur son dos le torse moite de Jack après la jouissance, elle frissonnait encore sous le souffle de Jack sur sa nuque. Ils étaient restés là, l'un dans l'autre, quelques délicieuses minutes, avant de se détacher. Pourtant, elle avait pressenti que quelque chose clochait en posant les yeux sur le visage de Jack, désormais allongé sur le dos : son regard était lointain, mais nullement comme il aurait dû l'être après ce déferlement hormonal, il semblait déjà avoir oublié cet instant qui, pour elle, était une communion des corps autant qu'une satisfaction de sa libido.
Ses pensées furent interrompues par la sonnerie du minuteur, et firent place à une peur qui la prit au ventre. Elle se pencha et saisit le bâtonnet : dans la petite fenêtre, un smiley la regardait en souriant niaisement. Elle pensa une seconde que les fabricants pharmaceutiques auraient bien fait de prévoir aussi des bâtonnets avec une tête qui tire la gueule quand le test est positif, pour les femmes qui ne considéraient pas leur grossesse comme un heureux évènement.
- “Re-merde” fut son seul commentaire.
Le choix était restreint : avorter, mener la grossesse à son terme et abandonner le bébé, ou le garder. Mindy savait que si elle optait pour la dernière possibilité, il lui faudrait élever l'enfant seule. Elle ne pouvait et ne voulait plus compter sur Jack, qui avait manifestement sombré dans la folie. Soudain, une idée lui vint, et fit naître en elle un nouveau sujet d'inquiétude : ce début d'être ancré en elle, quel héritage paternel portait-il en lui ? Pourrait-il devenir un jour un adulte équilibré et heureux ? N'y avait-il pas, inscrite quelques part au fond de son génome, l'obsession destructrice que Jack appelait le Gogo ?
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