samedi 18 septembre 2010

Vermines. (Part 2)

Oubliez tout ce que vous savez.

Oubliez ces grandes villes et leurs beaux quartiers, oubliez leurs plus sordides bas-fonds où les murs des maisons craquent et où les fenêtres obstruées par de vieux lambeaux de planches pourries cachent des choses que l’être humain moyen n’ose même pas imaginer. Ces bas-fonds qui accueillent en leur sein corrompu une population d’oubliés qu’aucune société prétendue saine ne veut voir, ne veut connaître. Des enveloppes charnelles dont l’âme est restée perdue dans les limbes de quelconque substrat chimique qui permet de dissiper la douleur de la chair. La noirceur règne en maitresse de ces quartiers où l’astre de feu renvoie seulement un éclat livide pour ceux qui y vivent.
Mais oubliez ça aussi.

Car il y a une chose pire que ces pâtés de maison désagrégés qui pullulent aux alentours de nos villes. Il y a ce qui se trouve en dessous. Un réseau putride où tout le résidu de cette misère subsiste, reliquat obscène que même ceux du dessus ignorent. La fange de la fange. Les boyaux de la ville. Là où ceux du dessous attendent leur heure. Rats, cafards, immondes blattes gluantes préparent leur invasion au milieu de la mélasse faite d’ordure et de déchets. Ici même la lumière a abandonné, même l’ombre paraît plus noire qu’au dehors. Un réseau de voutes imbriquées dans un labyrinthe fou et sans logique. Des voutes célestes faites de briques et de moisissures, qu’aucune étoile ne viendra honorer.
Ad astra per aspera. Lewis se souvenait ironiquement de la devise qu’il avait vu au détour d’une frontière d’état lors de son douloureux voyage pour aller rejoindre Mac Pherson et qui se trouvait maintenant à ses cotés dans ce dédale trop malsain pour avoir été conçu par les humains. Aucune étoile. Et le chemin était devenu encore plus âpre. C’est après avoir récupéré l’ancêtre au fin fond des épaisses forêts appalachiennes que celui-ci expliqua ce que lui et Jack avaient vu avant qu’il en disparaisse. Lewis n’avait pas pris ça au sérieux au départ mais les inquiétants évènements qui suivirent là-bas contribuèrent à réveiller sa curiosité, le menant ainsi ici avec ce vieux, peut-être pas si fou, dans les égouts de la ville de Boston. Là où selon Mac Pherson, tout prendrait un sens. Cela faisait une bonne demi-heure qu’ils avançaient péniblement dans ce tortueux réseau mais le sexagénaire semblait savoir où aller, pointant les directions à l’aide de sa lampe torche.

- C’est encore loin ? murmura timidement Lewis comme apeuré que quelqu’un d’autre puisse entendre.
- Je ne crois pas, dit Mac Pherson. Le vrombissement se fait plus oppressant, Ils doivent être tout proches.

C’était donc ca. Lewis n’en avait pas pris tout de suite conscience, mais ses tympans semblaient le bruler depuis un quart d’heure environ, une douleur lancinante qu’il n’avait plus éprouvée depuis son voyage en voiture. Et alors que Mackie lui fit remarquer ce détail, il lui parut distinguer une sordide litanie tant le vrombissement alternait sur des tonalités différentes. Sa main glissa sur le holster accroché à sa ceinture, reflex éternel d’un homme armé se sentant menacé.

- Là, à gauche, dit Mac Pherson en orientant sa lampe.

Le coude de la canalisation cachait un autre couloir qui paraissait se resserrer à mesure vers l’infamie elle-même. A contre cœur, il suivit le vieil homme qui de son côté paraissait animé d’un fascination malsaine pour ce qui les attendrait au bout de ce funeste étau. Lewis fut à demi soulagé de se trouver face à une simple échelle rouillée et poisseuse qu’il emprunta avec une réticence certaine. Mac Pherson l’attendait déjà en haut dans une espèce de boyau encore plus petit où seul un homme accroupi pouvait avancer de front. Alors que la lugubre incantation devenait encore plus distincte, Lewis sortit son arme de poing sentant la menace poindre.

- C'est sûr...Ils sont là, au bout, souffla Mac Pherson dont les yeux affichaient maintenant une lueur démentielle.

Peu inspiré mais décidé à tout faire pour retrouver son partenaire, Lewis prit la tête du duo dans cet inextricable intestin, un filet de lumière improbable à cet endroit l’attirant comme un de ces insectes qui grouillaient à ses pieds. Alors qu’il distinguait le fond du boyau, la lumière croissante laissait deviner une épaisse grille en acier qui bloquait l’issue du tunnel. Ce qu’il vit une fois proche de cette grille restera à jamais dans sa mémoire comme la plus terrifiante vision qu’un homme ne puisse jamais connaître. En contre bas de la grille, qui surplombait une salle éclairée par les feux de l’enfer, se trouvait une centaine de sombres silhouettes hideuses, agenouillées en une spirale follement galactique. Leurs toges en lambeaux d’un pourpre indéfiniment sombre cachaient difficilement des ailes aussi proéminentes que décharnées qui paraissaient sortir de leurs omoplates comme autant d’horribles couteaux acérés. Au sommet de ces omoplates grisâtres se tenaient des crânes chauves, luisants et difformes, où un bulbe rachidien boursoufflé paraissait se mouvoir de bas en haut le long d’un cou monstrueusement épais. Les yeux vitreux et sans paupières de ces innommables créatures semblaient suinter d’un pus jaunâtre qui s’écoulait difficilement sur des joues faméliques séparées par une trompe visqueuse qui leur faisait office de nez. Le dégout de Lewis fut tel qu’il ne put réprimer un gloussement guttural qui sortit immédiatement ces êtres dérangeants de la transe étouffante dans laquelle ils étaient plongés.
Comme une seule entité dirigée par une conscience collective, les énormes pupilles dilatées se retournèrent toutes en direction de la grille où se trouvait l’homme tétanisé. Et alors que les premières créatures se précipitèrent vers la sortie de la salle, le flic comprit rapidement qu'Ils venaient le chercher, pour lui faire subir des souffrances sans nom. Sans outre mesure il ordonna à Mackie de faire demi-tour mais il buta sur un Mac Pherson immobile. Le vieil homme se tenait dans la même position que ces abominations, les yeux exorbités et laissant émettre de sa gorge le même vrombissement bitonal inhumain que les créatures :

- Goooooooooooo….Gooo. Goooooooooooo….Gooo.

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