La saison avait été tardive cette année et la lumière blanchâtre et voilée de ce début d’automne conférait à la scène une atmosphère aussi douce que surréaliste. Les Pavots encore en fleurs au beau milieu de ce champ sans arbres peignaient des teintes allant du blanc au rouge en passant par d’indescriptibles nuances de rose et commençaient seulement à montrer des signes de fatigue fripée. Ils s’étendaient à perte de vue, s’en allant se mêler dans le ciel loin là-bas, dansant dans la brise, tout au bout d’un horizon dont même Van Gogh n’aurait su retranscrire la volupté…
C’est au milieu de cet océan pictural que son corps meurtri le rappela doucement à la conscience. Perdre connaissance ne lui était pas arrivé souvent mais il gardait encore en mémoire la lourdeur du réveil qui s’en suivait.
Il força d’abord sur ses paupières. Elles s’entrouvrirent en un halo blanc-bleu qui lui donna la nausée. Tout était encore flou autour de lui et le simple fait d’essayer de bouger lui arracha un grognement de douleur. Il n’était que courbatures. Le choc avait du être intense.
Ses yeux maintenant mi-clos commençaient à s’habituer au violent contraste nuit de l’esprit / soleil d’automne et il distingua vaguement une ombre noire posée à ses côtés. Seulement cette silhouette inerte aurait-elle eu autant de chance que lui, pensa-t-il alors que ses membres retrouvaient un semblant de force capable de le porter.
Alors qu’il se rapprochait tant bien que mal du corps inerte, il s’étonna du décor environnant. Quelque chose clochait, ce n’était pas là que lui et les autres se trouvaient au moment fatidique. Il contempla circonspect l’immense étendue opiacée qui s’offrait à ses yeux encore vaseux tout en essayant de mettre en place les événements précédant sa chute. Stupéfait, c’est sans s’en rendre compte qu’il avança de quelques pas, oubliant complètement son intention première de vérifier l’état de santé de l’homme à ses cotés.
Un murmure rauque l’extirpa de son errance, le ramenant à sa mission initiale…
- Major.. ?
Bien que surpris, il se retourna lentement en direction de la voix…
- Jack.., dit-il en se dirigeant vers lui en boitillant… Ne bouges pas, laisses-moi te..
- Ça va Major, salement secoué mais je crois que tout est à sa place…
Il aida son partenaire fourbu à se relever lui aussi et remarqua la stupéfaction dans ses yeux quand à son tour il fit face à l’étendue fleurie…
- Bordel, mais où on a bien pu atterrir ?
- J’en sais foutre rien Jack, je te dirais Afghanistan au vu de la végétation, mais ce n’est pas normal. Pas une montagne à l’horizon et la lumière ne ressemble en rien à celle qui baigne l’Hindukush à cette période…
- Et comment on s’est retrouvés ici alors ? Chez les Talibans ou peu importe, pesta Jack avec son ton bien à lui.
- J’aimerais bien le savoir, tout ce dont je me rappelle, c’est que tu as pété les plombs juste avant et que tu t‘es jeté dessus..
- Oui ça me revient, coupa Jack, mais je n’ai pas pu faire autrement.
- J’ai bien vu. Je t’avais pourtant prévenu, mais non, tu n’en as encore fait qu'à ta caboche d’ivrogne mal sevré et laisse moi te dire…
- Attends. Où sont les autres ? John, Callahan……Mindy ?
- Ne te fais pas de souci pour elle, mes gars ont réussi à l’extraire avant que tu ne pètes les plombs, par contre pour ces fils de putes, j’en sais foutre rien…
Alors que le Major terminait sa phrase, Jack gravissait le mouvement de terrain qui se trouvait derrière eux afin de trouver un meilleur point de vue. En contrebas se trouvait une étendue au moins aussi saisissante que celle de leur réveil mais néanmoins légèrement plus clairsemée…C’est en détournant son regard de cet univers étourdissant qu’il remarqua un corps démembré non loin sur le sommet de la butte…
- Major magne-toi ici, hurla-t-il, j'ai quelque chose…
L’ancien Marines trotta rejoindre Jack qui contemplait avec une stupéfaction quelque peu maléfique la tête séparée du tronc qu’il avait découvert.
- Au moins on sait où est Callahan, s’amusa-t-il avec dédain. Je me fais plus de souci pour notre sort que celui de ces pauvres abrutis, ajouta-t-il.
- Qu’est ce que tu crois qu’on devrait faire ? s’inquiéta Jack.
- Déjà s’organiser, trouver le nécessaire de survie, et crois moi qu’ici la survie ne doit pas être un moindre mot. Mais aussi réfléchir. Et là dessus je crois déjà avoir une piste.
- Je t’écoute.
- Le Gogo. Combien de temps tu as passé à le chercher ? Toutes les personnes autour de nous étaient à sa recherche aussi. Même moi il a dicté ma vie ces dernières années, encore pire, il a fini par nous rapprocher et à bosser main dans la main…enfin…J’ai vu des gens s’en approcher de prés, et toi il a suffi que tu le touches du doigt pour que tout bascule.
- Et alors quoi ?
- Et alors ? Je n’ai aucune idée d’où on peut être, ni où on doit aller, mais je sais ce qu’on doit faire…
Une bourrasque de vent plus forte que les autres fit s’envoler tout autour d’eux des milliers de pétales d’opium multicolores qui tourbillonnèrent en une mosaïque vivante, mêlant toute une gamme fuchsia à la tapisserie azur de cet endroit intemporel…tel un écrin soyeux à la vérité imparable :
- Tu dois te réapproprier le Gogo.
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